ISUCHER SZWARC

Certaines parties de ce texte ont été traduits de l’ Yiddish en Hébreu par Emek (Emmanuel) Frenkel en 1991 et postérieurement en anglais en 1999 par Doubi Szwarc. Ces parties de texte concernent principalement les paragraphes concernant la famille proprement dite et ne concernent pas les paragraphes plus généraux. Doubi Szwarc est l’arrière petit fils de Isuchar et  Emek Frenkel est son petit fils. Jerrold Landau, au cours de la traduction du texte du Livre De Zgierz Yizkor, a travaillé a partir de la traduction de Doubi et a complété les parties manquantes.  Joao Schwarz a repris le texte en anglais et l’a traduit en Français en 2011.

Voici une photo de Salomeia beaucoup plus jeune:

Nous célébrons en 1949 le dixième anniversaire de la mort de mon père Isucher Moshe Szwarc, penseur Juif éclairé. Il avait 80 ans quand il est mort  (27 Décembre de 1939) dans sa ville de Zgierz, un jour avant la déportation des juifs. Le compte rendu de la vie et de la mort de Isucher a été publié dans le livre Yizkhor sur Zgierz (http://www.jewishgen.org/Yizkor/zgierz/zgi001.html) dont la version en anglais se trouve ici.

La généalogie la plus complète de la famille de Isucher Szwarc (merci à Violusia pour ce travail) se trouve ici.

Vue de Zgierz (la maison de Isucher est celle avec un balcon)

Ils ont brulé sa bibliothèque qui avait la réputation d’être une des plus importantes collections privées de livres Juifs (dans la langue vernaculaire on dit Hebraica). Même sa maison a été complètement détruite.

Ses assassins, non contents de tuer un vieux Juif, un parmi un océan de six millions tués de cruelle manière, ont voulu aussi anéantir la connaissance Juive, en détruisant tous les livres Juifs y compris les maisons ou ces livres se trouvaient.

Dans son cas, ils n’ont pas eu à se plaindre. La maison de Isuchar Szwarc à Zgierz était l’épicentre de l’intelligentsia et de la Haskalah Juive. Elle était fréquentée par des écrivains, des érudits, des leaders de la communauté, des artistes tels que David Friszman, Nachum Sokolow, Yaakov Cohen, Katzenelson, Nomberg, Glicenstein et bien d’autres.

Toi, mon cher ami, mon frère du peuple Juif de Zgierz, tu as convaincu le fils ainé de Isuchar Szwarc, à écrire quelques lignes sur mon père et sa personnalité. Est-il possible à un fils de parler de son père sans une dose de révérence. Peut-on mettre en suspens son objectivité quand il s’agit d’écrire sur une personne aussi éclairée que celle de Isuchar Szwarc?!

Je voudrais vous dire qu’ayant vécu loin de chez moi depuis plus de 50 ans, j’écris dans un très mauvais Yiddish. Même si l’on n’oublie jamais sa langue maternelle, j’ai eu très peu d’occasions d’écrire en Yiddish. Aussi longtemps que mon père fut vivant, je correspondais avec lui en Hébreu et avec ma mère en Polonais. A la maison nous parlions Yiddish qui à cette époque était une espèce de “jargon”, mais je n’ai jamais écrit en Yiddish.

Il est dit dans Pirke Avot “Celui qui rapporte une parole au nom de celui qui l’a dite apporte la délivrance au monde”. Je veux commencer par décrire le caractère de mon père bien aimé avec une citation d’un de ses commentaires, qui ma énormément aide dans mon travail littéraire.

Tout d’abord quelle est l’origine du mot “marrane”, employé pour designer les Juifs du Portugal et de l’Espagne dont les pratiques religieuse étaient secrètes. Quelle serait l’origine du mot “Marrane”?

Aussi bien en Espagnol qu’en Portugais, le mot “marrane” désigne le cochon et son pluriel “Marranes” désigne donc des “cochons”. Ceci n’est pas tout a fait exact car dans toute la littérature de l’inquisition, sur plus de 300 ans et sur plus de 40000 procès inquisitoriaux, que l’on peut trouver dans les archives de Lisbonne, le terme “Marrane” n’apparait pas même s’il est utilisé communément par le peuple.  On les nomme des “Néo chrétiens” out tout simplement “juifs” ou “meshumadim” et d’autres appellations telles que “hunt”.

Cela prouve que le terme n’a pas ses origines au Portugal et n’a rien a voir avec le mot “marranen” aussi bien en Espagnol qu’en Portugais. D’après mon père, le terme “Marrano” vient de l’Hébreu “Lemareh Ayin”, c’est à dire quelqu’un qui n’a de Chrétien que l’apparence.

Je ne souhaite pas citer toutes les fois ou mon père m’a aidé dans mon travail sans quoi je devrais écrire un livre, mais un fait doit être encore mentionné. Une des pierres tombales datée de 1345 qui se trouve au Musée Juif de Tomar, se termine par “Nun Bet Tav, qui est enseveli dans cette tombe”.  A quoi peut se référer “Nun Ber Tav”? Mon père a pu déchiffrer l’inscription. Nun Ber Tav n’est qu’une forme abrégée de “Nafsho Betov Talin”   (“que son âme repose en paix” du psaume 25,13.

Comme je l’ai déjà dit, je suis le plus vieux de ses enfants. Mon père avait vingt ans de plus que moi et nous avions plutôt l’air d’être des frères. Je suis né à Zgierz en 1880 et mon père doit être né soit en 1860 soit en 1859, aussi dans la ville de Zgierz. Son père était Hersz Ber Szwarc et sa mère Miriam (née Glicksman).

Mon grand père Hersz Ber d’heureuse mémoire, était un riche négociant en métaux. Ma grand-mère Miriam était sa deuxième épouse.

Mon grand père avait quatre enfants de sa première épouse, tous des commerçants et des négociants en métaux. De sa seconde épouse il n’a eu qu’un seul enfant, mon père Yissachar Moshe.

La maison que les Allemands ont détruite a été construite durant la vie de mon grand père Hersz Ber. Ma mère Sara, de nom de jeune fille Glicksman, était très belle. Elle était grande, aux yeux bleus, cheveux noirs, et une peau très claire, du lait et du sang.  Mon père était grand et mince. Il était  un jeune et frêle bel homme.

De tous ses frères ce fut le seul à ne pas devenir un homme d’affaires. Il a consacré sa vie à l’étude.  Ne pensez pas qu’il est allé au Gymnase, que le ciel l’interdise. Après quelque temps au cheder (école Juive traditionnelle ou l’on apprenait les fondamentaux du Judaïsme et de l’Hébreu), un tuteur a été engagé pour son enseignement. D’abord ce fut un tuteur qui lui a appris la Bible et le Talmud, plus tard il a étudié l’Allemand, le Russe et le Polonais. Je crois que l’on peut dire qu’il s’est éduqué lui même. Le fait qu’il ait porté un long kaftan, ne l’a pas empêché de faire connaissance avec les écrits de Mendelsohn, Heine, Zunz, Luzzato ou avec les travaux d’écrivains Hébreux de l’époque tels que Yehuda Leib Gordon, Mapu and Smolenski.  Je sais aussi qu’il lisait la poésie de Shimen Frug en Russe et qu’il lisait “Meir Ezepowicz” de Eliza Orzeszko en Polonais. Il était capable de tout lire, allant de la Bible, au Talmud, en passant par  « l’Amour de Zion » de Mapu et le « Shulchan Aruch » (Code de la Loi Religieuse Juive). Voici un article traduit du Polonais, qui relate ce que fut l’education juive à Zgierz.

A l’époque il commença à bâtir sa bibliothèque, sa collection de livres qu’il lui était aussi cher que sa vie.

Figure 7 Isucher Szwarc en compagnie de Samuel Barbash au Congrès Sioniste de Vienne en 1913

Voici une photo intéréssante qui montre bien la dynamique qui animait les participants au Congrès Sioniste de Vienne

Très jeune, mon père épousa sa très belle et bien aimée cousine Sara Glicksman.  Il était un jeune homme de 19 ans et elle n’avait que 16 ans. Comme c’était la coutume, son beau père subvint a ses besoins pendant une ou deux années, jusqu’a ce qu’il put choisir le moyen de vivre. Un an après le mariage, mon grand-père Wolf Glicksman mourut.

Comme ma mère était la plus jeune, ma très chère mezinka, ma grand-mère n’a pas voulu rester toute seule à la mort de son mari. Voila ce qui explique que mon père ait vécu et ait été aidé chez ma grand mère pendant 18 ans, jusqu’a sa mort.

Entretemps mes grands parents du coté Szwarc sont tous les deux décédés, et leur maison a été léguée à mon père. Le revenu de cette maison a permis à mon père d’envoyer ses enfants au Gymnase et de m’envoyer, moi son enfant le plus âgé, étudier a Paris. Mon père n’avait pas de problèmes financiers. Il pouvait dédier son temps a l’étude de la “Torah Va’Avoda” et a ses aspirations intellectuelles.

Quant à moi, mon départ pour Paris fut un véritable miracle, vu que mon père voulait que je devienne un Rabin au Séminaire Rabbinique de Berlin.

Même s’il était un libéral, mon père s’habillait avec un long caftan. L’enlever pour le remplacer par un manteau plus court, demandait beaucoup de courage. Cela il l’a fait en 1892, lors d’une visite à Saint Petersbourg ou il a rencontré des leaders Juifs, la bibliothèque Impériale et est devenu un ami du grand poète Yehudah Leib Gordon. A son retour de Saint Petersbourg, il n’a plus porté un long caftan.

Après la mort de ma grand-mère Zise, la condition financière de mon père se dégrada considérablement. La maison de ma grand mère, ou mes parents vivaient, a été attribuée à l’un de mes oncles pour sa part d’héritage.

La période ou il bénéficia de l’aide de sa famille se termina et mes parents on du déménager dans la maison qu’ils avaient héritée du grand-père Szwarc. Comme ils occupaient la plus grade partie de cette maison le revenu qu’ils en tiraient baissa au point de ne pas être suffisant pour leur vie de tous les jours.

Mon père décida alors d’ouvrir une usine qui fabriquait des rubans de soie. L’entreprise ne dura pas bien longtemps. Elle brula et mon père perdit alors le peu d’argent qui lui restait de l’héritage récent.

A l’époque une école publique de commerce s’ouvrit à Zgierz, avec les mêmes droits qu’un gymnase, tout en acceptant des enfants juifs et cela sans quota. Beaucoup de Juifs sont alors arrivés de la Pologne et de la Lituanie. Cela créa des opportunités pour tous les propriétaires de la ville : la location de chambres à des étudiants Juifs. Mon père aussi ouvrit une pension, puisqu’il avait une maison avec beaucoup de chambres.

(Pour mieux comprendre la situation des écoles juives à Zgierz il faut lire l’article en polonais ou sa traduction approximative en français)

Il est clair que tout le travail tomba sur les épaules de ma mère, qui cependant le faisait avec dévotion. Mon père fut une fois encore libéré de ses problèmes de subsistance et plongea à nouveau dans ses livres et son travail.

J’étais étudiant à Paris à cette époque. L’activité du pensionnât continua pendant de longues années jusqu’à ce que le régime déplaça l’école de commerce en Russie. A ce moment j’avais déjà commencé à travailler en Espagne et en Afrique, ayant terminé mes études d’ingénieur à l’Ecole des Mines de Paris.  J’avais la possibilité d’aider mes chers parents et ainsi payer en partie les dépenses considérables qu’ils avaient du consentir pour mes études.

Mon père put ainsi assurer une bonne éducation a presque tous mes frères, il mariât trois de mes chères sœurs et put continuer ses efforts de propagande concernant le renouveau de la Juiverie Polonaise, aussi bien par écrit que par des présentations orales.

Quelques intellectuels Juifs vivaient à Zgierz à l’époque, et ils coopéraient volontiers avec mon père dans ses activités de propagande.  Parmi eux, beaucoup plus vieux que mon père il y avait Reb Tovia Lipszicz un bon Hébraïste et pittoresque Juif Lithuanien et le vénérable A. Y. Weicenfeld, juif Galicien qui était un expert en littérature Juive et Allemande. Le troisième était de Zgierz, encore un jeune homme, Moshe Eiger, petit fils du Rabbi Akiva Eiger.

Ils se rencontraient tous les Sabbat après-midi dans la petite maison d’un étage de A. Y. Weicenfeld  qui se trouvait sur le square du marché. J’y suis venu à plusieurs reprises.

Leurs activités étaient surtout de l’ordre d’échanges verbaux. Seul mon père publiait des articles de temps a autre dans le journal “Ha-tsefirah” et plus tard dans « Ha-yom » (journal de Saint Petersbourg) aussi bien que dans les journaux en Yddish de Varsovie et de Lodz. 

Il écrivait sous le pseudonyme de « Yam Shachor » (Mer Noire). Le Y et le M étaient les initiales de Yissachar Moshe, et Shachor (noir)  était pour Szwarc.

Mes parents avaient des mœurs orthodoxes. Mon père était tolérant à l’égard du degré d’observance religieuse de ses enfants. Les Sabbat et au cours des fêtes, nous allons tous a Beit Midrash (Centre d’études religieuses) puisque mon père n’allait pas prier a la Grande Synagogue mais plutôt au plus démocratique Beit Midrash. Ma mère était d’avantage exigeante en matière religieuse et me demandait parfois si j’avais récité mes prières.

Je n’oublierait jamais ma honte quand, après mon premier voyage de retour de Paris pour les vacances, ma mère défi ma valise et me demanda si j’avais prié tous les jours. Bien sur lui ai-je dit. Elle examina mon sac à Tefillin, et y prit une pièce d’or qu’elle y avait placé à mon départ pour Paris. Vous pouvez imaginer ma honte, mon choc et aussi ma déception.

Mon père était un grand ami de Nahum Sokolow et du poète David Friszman naturel de Zgierz mais qui vivait à Lodz (ci joint on pourra trouver, traduite du Yiddish, une lettre de Isucher à Zalman Rejzyn responsable du YIVO à Vilnius en 1934 qui parle de David Friszman. La réponse de Zalman est aussi attachée).

——————————-Lettre de Isucher a Rejzyn ——————–

Isucher Schwarz

Zgierz

Zgierz, le 2/2/1934 

[Tampon : YIVO, entré 7/2/1934] 

Très cher ami, 

J’ai aujourd’hui reçu de mon fils une coupure de journal dans laquelle il y avait un article intitulé « Portrait du “père des marranes” ». J’y ai lu que mon fils avait remis à l’auteur un ouvrage rare (publié en 1609) comme don à votre institution, le YIVO. Je ne sais pas où ce journal est publié. Je ne suis pas sûr non plus que vous ayez reçu l’ouvrage Leçons et règles d’ivre-taytsh… D’après ce que je vois dans l’article, mon fils a aussi écrit une dédicace de sa main sur la page de garde, « un cadeau pour le YIVO de Wilno ». Je voudrais donc savoir si l’auteur de l’article, un certain Minkov, vous a déjà fait parvenir ce don…

Je profite de l’occasion pour attirer votre attention sur la manière dont ces écrivains se comportent avec les documents confiés à leur responsabilité.

Dans le numéro 4 de Bederekh, la semaine dernière, un « écrivain qui veut rester anonyme » a publié une lettre de Dovid Frishman à « son jeune ami ». J’ai reconnu en voyant le contenu que l’original se trouve chez moi, parmi les écrits que Frishman a rédigés à l’intention de mon fils, le « père des marranes » en personne, Samuel Schwarz, désormais à Lisbonne. Il fallait bien sûr que je le donne à quelqu’un. L’historien de l’avenir pensera certainement qu’en 1884 Dovid Frishman était à Breslau, qu’il y étudiait, etc. etc., mais cela n’est pas vrai. En 1884 mon fils avait quatre ans, il doit y avoir une erreur dans la date…

Parmi les centaines de lettres qui se trouvent chez moi on trouvera sûrement quantité de documents sur lui et sur son frère renégat Marek.

Peut-être savez-vous aussi où paraît le journal auquel M. Minkov contribue.

Je n’ai pas vu mon ami M. Gliksman de Lodz. On comprend bien que je ne peux pas m’abaisser à le prier de faire ce qu’il aurait dû faire sans en être prié…

Répondez donc, cher ami, à mes questions et dites-moi si cela dépend de vos compétences !

Avec mes cordiales salutations et attentions

Isucher Schwarz

PS: Mon fils m’a aussi envoyé une coupure de presse publiée dans le même journal qu’un article en yiddish écrit par ses soins, sur le nouveau projet « Ouganda » pour les réfugiés ashkénazes.

J’ai un jour lu un article qui chantait les louanges de mon fils Samuel Schwarz (ainsi que de son frère Marek) dans Tsukunft (une revue américaine à ce qu’il me semble), écrit par votre frère Avrom Rayzn. Cette revue se trouve-t-elle au YIVO ? Je l’ai bien sûr aussi dans ma bibliothèque.

Tout le meilleur.

———————-Réponse de Rejzyn ——————–  

7 février 1934 

Isucher Schwarz

Zgierz

Très cher ami, 

J’ai reçu votre lettre. Zelig Minkov, un zamler du YIVO, nous avait déjà informé du cadeau que votre fils de Lisbonne avait envoyé par son intermédiaire à la bibliothèque de l’institut scientifique. La liaison avec la Lituanie étant de plus en plus difficile, nous n’avons cependant pas encore reçu ce livre, ni d’autres documents collectés à Lisbonne par M. Minkov pour le YIVO, mais ils nous seront transférés à la première occasion. Zelig Minkov vit à Kovno et l’article qui concerne votre fils a paru dans le Folksblat de Kovno. Je le ferai réimprimer dans le Vilner tog et vous ferai parvenir un numéro, vous voudrez bien avoir la gentillesse de le faire parvenir à votre fils à Lisbonne.

Votre commentaire de la lettre de Dovid Frishman, paru dans le n° 4 de Bederekh, est très précieux. Les lettres que vous avez, en connaissance de cause, si soigneusement conservées pendant des dizaines d’années, constitueront sans aucun doute une importante contribution à l’histoire juive des dernières générations. Espérons que dans cent vingt ans elles se trouveront dans les riches collections du YIVO, accessibles à nos chercheurs et nos historiens.

En ce qui concerne Gliksman, j’ai demandé des documents en Argentine et dès que j’aurai une réponse positive, nous verrons comment arranger la chose.

Si l’article auquel vous faites référence dans votre lettre à propos de votre fils Samuel Schwarz, le père des marranes, a paru dans Tsukunft, il est présent au YIVO, qui possède une collection complète de la revue depuis sa création (1892) jusqu’à nos jours. 

Dans l’attente de bonnes nouvelles de votre part, je reste, avec mes meilleures salutations pour vous et votre famille,

votre

Zalman Rejzyn

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Un article en anglais sur la population juive de Lodz est disponible ici. Il allait très souvent à Varsovie. Il allait à Lodz presque tous les jours, même avant que le tramway Zgierz-Lodz fût installé.

Le transport se faisait dans des carrioles tirées par des chevaux, la plupart des conducteurs étant juifs. La station des carrioles se situait sur Schule Gasse très près de notre maison. Il y avait quatre sièges dans la carriole et le cinquième passager devait monter avec le conducteur. Quand le conducteur avait vendu les billets pour 4 ou 5 passagers, il partait. Le parcours vers la vieille ville de Lodz durait à peu près une heure et demie.

En hiver, quand les routes étaient gelées, le pauvre et maigre cheval n’arrivait pas à surmonter  les pentes et les passagers devaient sortir de la carriole et pousser pendant une grosse partie du trajet.

Mon père était un peu dans la lune. Il pouvait lui arriver de voyager vers Lodz, alors que toute la famille l’attendait pour déjeuner. Il suffisait qu’il rencontre un ami en partance pour Lodz, et il y allait avec lui sans se poser la question de savoir ce que sa famille pourrait ressentir en ne le voyant pas arriver pour le déjeuner.

Je connaissais comme la paume de ma main  les 10 verstes  qui séparaient Zgierz de Lodz. Quand la carriole, nous amenait grâce a Dieu, jusqu’au jardin de Siebler (je n’ai pas la moindre idée de son appellation aujourd’hui), nous étions heureux d’être presque arrivés a Valut. Il s’agit du Valut que les allemands ont converti dans un ghetto et plus tard dans un cimetière.

Mon père m’a rendu visite deux fois à Paris. Une fois ce fut totalement inattendu. A Paris il rencontra, le célèbre professeur Joseph Ha-Levi, le Grand Rabbin Zadok Cohen, Max Nordau, le Dr. Marmorek et bien d’autres.

J’oubliais de vous dire que mon père était sioniste. Je me rappelle quand il y a 50 ans, le Dr. Herzl publia son « Judenstadt » (Etat des Juifs), mon père m’écrivit à Paris pour me dire « Je le suis et ses rêves sont les miens »

Mon père ne mangeait pas de nourriture non kasher. Quand il était a Paris, j’ai du aller avec lui dans un restaurant kasher dans le quartier Juif. Quand ma mère arriva a Paris pour l’Exposition Internationale de 1900, elle n’était pas satisfaite du certificat kasher du restaurant, et alla elle même en cuisine pour vérifier personnellement si la viande était véritablement préparée en accord avec la loi et la tradition. Mon père lui se satisfaisait du certificat. Il disait « Si le nom de quelqu’un est Gnendel, nous pouvons manger son Kendel » .

Il avait compris, qu’il ne pouvait pas aller manger tous les jours dans le quartier Juif, qui se trouvait à deux ou trois heures du Quartier Latin ou les étudiants résidaient.

Mon père était heureux en général. Il était quelque peu délicat physiquement mais ne se plaignait jamais et n’est jamais aller voir un médecin. Je ne me souviens pas de l’avoir vu malade au point d’aller se coucher. Ma très chère mère l’entourait de soins et les deux ont vécu dans le bonheur et dans la joie.

Quand j’étais jeune, mon frère cadet mourut en bas âge. Cependant leur plus grande peine et le plus grand désastre de la famille ce fut la mort de ma sœur Miriam (Mania). Elle avait 25 ans. Elle s’était mariée et était parti avec son mari pour Tel Aviv, ou elle mourut du typhus quelques mois après. Pendant ces années la, les conditions sanitaires étaient très mauvaises.

Cela n’empêcha mon autre sœur, Tzipora, qui se maria au célèbre Sioniste, leader du Radom, Yechiel Frenkel, d’aller s’établir à Tel Aviv. De même pour mon frère Simcha, qui s’établît avec sa famille en Israël ou ils vivent depuis 20 ans déjà. Ce sont eux qui ont hérité du rêve de mon père et de son amour pour Israël.

Mon père a été un délégué aux congrès Sioniste à Vienne en 1913 ou je suis allé lui rendre visite d’Espagne ou je travaillais.

Le plus grand chagrin de mes parents au sujet d’un de leurs enfants, ils l’ont eu avec mon frère Mordechai, le célèbre peintre et sculpteur qui vit à Paris. Ce n’est plus un secret pur personne, que lui, sa femme et sa fille se convertirent a la foie catholique. On peut imaginer l’énorme chagrin que cela causa chez mes parents.

Marek (Mordechai) était l’enfant aimé. Il venait souvent en Pologne pour des expositions et il peignait et sculptait pour mes parents. Il était très attaché à mes parents, qui l’aimaient énormément.

Son apostasie, fut un choc non seulement pour mes parents mais pour le monde Juif dans son ensemble. Cela arriva soudainement de façon non attendue il y a quelques 12 ans, et jusqu’à aujourd’hui personne n’en connait les raisons.

Mon père arriva à tenir bon après un tel choc à la foi catastrophique et inattendu. Il essaya de convaincre son fils aimé, à qui il se referait toujours même après la conversion comme Mordechai le Tzadik (Le mot hébreu tsadik (צדיק) désigne littéralement un homme juste), qu’il vivait dans l’erreur. Il lui écrivit des mots venus du fond du cœur et des mots philosophiques. Tous les frères, y compris moi même, ont essayé de le convaincre qu’il avait commis un acte terrible et que cela signifiait un arrêt de mort pour nos parents. Tout cela fut fait en vain.

Ce fut chez ma mère que le choc fut le plus dévastateur. Cela lui écourtât la vie et l’a rendu pénible. Elle mourut soudainement d’une crise cardiaque. Elle avait trois ans de moins que mon père  et mourut deux ans avant lui à l’âge de 75 ans. Elle mourut le  5 Aout 1938, sans jamais avoir été malade, comme par un baiser de la mort, comme une femme d’honneur. On peut dire qu’elle eut de la chance de mourir avant la guerre et de ne pas avoir assisté à l’assassinat de mon cher père par les allemands. Toute sa vie, elle la consacra à mon père, lui permettant de vivre sans travailler, pour ainsi pouvoir se dédier entièrement à son peule et au Judaïsme. Elle mérite que l’on s’en souvienne comme une mère modèle d’Israël.  Que son âme  soit  a tout jamais liée à la vie éternelle.

Mon père mourut comme un Tzadik dans la sanctification du nom de Dieu. Le même sort fut réservé à mon frère Hersz-Ber et à ma sœur Zosia, qui furent tués avec leur famille dans le ghetto de Varsovie. De toute ma famille vivant en Pologne à l’époque, le seul qui survit ce fut le fils ainé de mon frère Hersz-Ber, David Szwarc, qui fur sauvé grâce a une connaissance Polonaise, une personne raffinée Stanislas Pielka (qui vécût à Mokotow, Palencka 3). Il a sauvé la vie de David au péril de la sienne.  Je voudrais lui exprimer toute ma gratitude et mes remerciements, avant que cela soit fait par la communauté et la congrégation. David vit maintenant au Canada avec mon frère le Dr. Aleksander Schwartz.

Mon frère, le Dr. Aleksander Szwarc est un chimiste de renom, un scientifique qui s’établît au Canada. Il sera peut être un jour professeur, ce que mon père aurait été s’il avait vécu dans un pays libre.

J’ai écrit que David Szwarc fut le seul de la famille de Pologne à survivre. Après la guerre mon beau frère Kazimierz Lewi, retourna de Russie. Il ne put retrouver sa femme, ma sœur Zosia, et son seul fils, qui ont été gazes et brulés.

Mon autre beau frère, Yechiel Frenkel de Tel Aviv, est le seul qui peut être comparé à mon père. C’était l’alter ego de mon père en ce qui concerne ses vertus, son éducation Juive et son amour pour Israël ou il vit depuis 20 ans.

Il traduisit en Hébreu mes écrits sur les Marranes au Portugal dans la revue “Ha Yom” (aujourd’hui) en 1926. C’est a lui que je fais appel, comme je le faisais autrefois avec mon père, pour des questions sur des manuscrits en Hébreu que je trouve dans les archives locales.

Moi, le fils ainé, j’ai hérité de mon père l’amour des livres, l’amour du Judaïsme et de l’histoire du peuple Juif. C’est grâce à cela que j’entrepris mon travail sur les Marranos. J’ai publié un travail sur leurs coutumes et leurs prières. Grace a ces travaux de recherche, j’ai pu sauver une synagogue du 15ieme siècle (Synagogue de Tomar) et la convertir avec l’appui du gouvernement Portugais en un Musée Hébraïque (Musée Abraham Zacuto). J’ai pu constituer une très grande bibliothèque Hébraïque qui devrait se trouver dans le Musée Abraham Zacuto. Un jour j’espère, cette bibliothèque, crée par ma femme et moi même, sera envoyée en Israël.

Je voudrais aussi mentionner mes travaux sur David Reuveni, Shlomo Molcho et sur l’antisémitisme, qui ont été publiés au Portugal. Je remercie mon révérend père pour m’avoir motivé a accomplir ces travaux.

Tous mes frères et mon beau frère Yechiel Frenkel, ont tous hérité de quelques unes des qualités de mon père. Cependant, aucun d’entre nous, n’a hérité de son âme d’or, de son exceptionnel désir de faire du bien, de son énorme altruisme, de sa connaissance encyclopédique et de sa vision très claire.

Que son âme repose en paix.

Ingénieur Samuel Szwarc,  Lisbonne, le 15 Février 1948